Pétrole, charbon… D’ordinaire, les ressources affublées du surnom « d’or noir » sont de piètres alliées de la cause climatique. Mais un nouveau venu semble s’emparer du sobriquet, promettant vertu environnementale et bien plus encore : le biochar. Ce charbon végétal (le “char” renvoie à “charcoal”, soit charbon de bois dans la langue de Rockefeller), destiné à un usage agricole, est capable de séquestrer des quantités importantes de CO2, tout en augmentant la fertilité des sols.
Comment ? Lorsqu’ils se décomposent ou brûlent, les végétaux rejettent dans l’atmosphère tout le gaz à effet de serre emmagasiné au cours de leur vie. Sauf s’ils sont transformés en biochar. Dans ce cas, le dioxyde de carbone est emprisonné dans la matière organique. « Sur cent ans, une tonne de biochar peut séquestrer l’équivalent de 1,5 à 3 tonnes de CO2 ! », se réjouit ainsi Axel Reinaud, président de l’entreprise NetZero, le leader français du biochar.
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La production de cette précieuse poudre noire sollicite un processus thermochimique bien particulier : la pyrolyse. Dans un four privé d’oxygène, le pyrolyseur, des restes de matières organiques (déchets agroalimentaires, résidus de culture céréalière, bois, voire fumier) sont insérés puis chauffés à une température de 300 °C à 700 °C. Carbonisée mais pas brûlée, la biomasse devient biochar.
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Des vertus agronomiques
Ses vertus agronomiques suscitent également l’enthousiasme. « Le biochar possède une structure très poreuse, qui absorbe parfaitement l’eau et les nutriments, explique David Houben, agronome à l’institut polytechniqe UniLaSalle, de Beauvais. Il aère les sols, y favorise le développement d’une biodiversité essentiellement microbienne. Le bénéfice principal, ce sont des sols plus fertiles, et moins d’engrais utilisés. »
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Une polyvalence que ne manquent pas de souligner les promoteurs du biochar. « Cela favorise une économie circulaire », affirme Axel Reinaud. Au Brésil, où son entreprise a installé deux usines de production, les paysans alentours fournissent la biomasse nécessaire (en l’occurrence, des résidus agricoles issus de la culture du café), en échange de quoi NetZero leur livre le biochar produit.
Une efficacité variable selon les sols
Pour Stéphane Ledentu, président du groupe français SLB et de sa marque de biochar Terra Fertilis, « pour la planète et la production agricole, c’est du gagnant-gagnant ». Cet ancien exploitant forestier, qui vise une production de 1 200 tonnes de biochar d’ici à 2025, identife même deux autres points positifs. « Il permet de restaurer la qualité des terres, alors que 90 % des sols français sont pollués. Une ville comme Pantin l’utilise ! Et parce qu’il absorbe très bien l’eau, il peut aider à lutter contre le déficit hydrique de certains terrains. » D’ailleurs, certains viticulteurs français l’emploient déjà pour faire face aux épisodes de sécheresse, de plus en plus nombreux.
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Alors, le biochar serait-il vraiment l’or noir d’un XXIe siècle acquis à la cause climatique ? « C’est là qu’il faut nuancer, intervient David Houben. Il est effectivement prouvé que le biochar augmente drastiquement la productivité des sols pauvres que l’on retrouve en climat tropical, avec des rendements pouvant croître jusqu’à 25 %. Mais, sous les climats tempérés que l’on connaît en Europe, l’apport est moindre, voire nul. »
Autre limite : alors que le Giec préconise 10 milliards de tonnes de CO absorbées par an, le potentiel du biochar à long terme se limite à 2 milliards de tonnes. S’il est partie intégrante de l’équation de la séquestration du carbone, il ne peut en être la seule réponse. Surtout, parler de biochar au singulier est trompeur. « Selon le procédé et la matière première utilisée, il peut présenter des propriétés très contrastées, précise David Houben. Il n’existe pas un, mais des biochars. »
Popularité propulsée par le Giec
Sans être une solution miracle (si tant est qu’elle existe), ce charbon végétal jouit d’une certaine crédibilité dans le monde scientifique. En 2018, le Giec l’identifiait comme l’une des technologies nécessaires à l’absorption des émissions de carbone, soit un outil précieux pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. Et en 2021, Jean Jouzel, membre éminent de l’institution scientifique et pionnier des recherches sur les liens entre gaz à effet de serre et changement climatique, participait à cofonder NetZero, où il joue encore aujourd’hui unrôle de conseiller.
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Une vingtaine d’entreprises œuvrent aujourd’hui dans le monde pour développer la filière. Certaines se contentent de le produire, comme l’Américain Pacific Biochar ou le Cambodgien Husk Ventures ; d’autres développent les technologies requises pour sa création, tels l’Australien Pyrocal et le Chinois Beston ; quelques compagnies font même les deux à la fois.
Les promesses du biochar, un charbon végétal et vertueux
Le biochar peut être fabriqué en chauffant à fortes températures des résidus de l’agriculture. / ENRIQUE CASTRO-MENDIVIL/REUTERS
Sans compter les multinationales qui commencent à tâter le terrain, comme le Français Suez, qui s’est offert en 2021 le producteur canadien Airex Énergie. Une dernière preuve de la mode biochar ? En 2022, les projets de NetZero et de l’Indien Takachar étaient sélectionnés par le XPrize for Carbon Removal, un concours à 00 millions d’euros organisé par la fondation d’Elon Musk.
Concurrence pour l’accès à la biomasse
Le secteur en reste toutefois à des balbutiements. « L’objectif, c’est de faire passer la production à l’échelle, analyse Axel Reinaud. Aujourd’hui, quelques centaines de milliers de tonnes de biochar sont produites à l’international. Ce sont des millions de tonnes qu’il faudrait. »
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En réalité, le marché du biochar se heurte à un frein : l’accès à la biomasse. Matière première du biochar, elle l’est aussi pour de nombreuses autres filières. Avec pour risque de créer un conflit dans les cas d’usage. « Par exemple, les résidus sylvicoles peuvent aussi entrer dans les compositions d’écomatériaux, de biocarburants ou dans la fabrication de granulés pour les poêles à pellets », explique David Houben.
À prendre en compte également, la distance à parcourir entre les ressorces et le pyrolyseur. « Il serait absurde de faire parcourir à la matière première des centaines de kilomètres en camion, bateau ou avion pour produire du biochar. Ce serait émettre la même quantité de carbone que celle que l’on veut séquestrer », jauge Axel Reinaud.
Perspectives de développement économique
Malgré tout, les perspectives de développement économique sont là. NetZero entend ouvrir 600 sites dotés d’un, voire deux pyrolyseurs d’ici à 2030 ; SLB, le groupe de la marque Terra Fertilis, ambitionne de faire passer sa production annuelle à 1 200 tonnes ; tandis qu’à Rennes se tenaient en mars les premières Assises nationales du biochar.
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En Europe aussi, la croissante est très rapide. En 2016, une vingtaine de sites assuraient déjà la production d’un peu moins de 6 000 tonnes de biochar. D’ici à la fin 2023, le consortium European Biochar Industry estime que près de 180 sites en produiront plus de 50 000 tonnes.
Un secter bouleversé par les crédits carbone
Si les banques d’investissement ont longtemps été frileuses à l’égard de cet or noir, la crédibilité offerte par le Giec a changé la donne. « Le modèle économique a été bouleversé en 2019, avec la vente de crédits carbone aux grandes entreprises », explique Axel Reinaud.
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Ainsi, certaines grosses entreprises en achètent en quantité auprès des start-up émergentes du biochar, pour compenser leurs propres émissions carbone. C’est le cas, par exemple, du constructeur automobile Stellantis ou du groupe industriel de produits cosmétiques L’Oréal avec NetZero. Au risque de faire planer les accusations de « greenwashing » sur ces pratiques, et a fortiori sur une large partie de l’industrie de biochar. Car si le Giec préconise d’absorber le CO2 présent dans l’atmosphère, il réclame également une diminution de ses émissions de moitié d’ici à 2030.
« On en evient toujours à cette question d’équilibre, jauge David Houben. Le biochar est une solution, mais pas “la” solution. Et malgré ses promesses, il ne doit pas permettre à certaines multinationales de camoufler leur véritable bilan carbone. »
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Une vieille histoire
Il y a plusieurs milliers d’années, les civilisations précolombiennes utilisent déjà une forme de biochar, nommée terra preta (terre noire), pour augmenter la fertilité des sols.
Au XIXe siècle, certains manuels agricoles et revues scientifiques préconisent l’utilisation de charbon de bois pour obtenir de meilleurs rendements.
Dans les années 1990, les scientifiques se penchent sur la terra preta précolombienne et relancent la recherche sur le biochar.
En 2007, les vertus écologiques du biochar se dévoilent, par l’intermédiaire de l’agronome Johannes Lehmann. « Il est urgent d’identifier et d’implanter des solutions pour freiner le réchauffement climatique, écrit-il alors dans la revue Nature. La séquestration de carone par le biochar ne requiert pas de progrès scientifique fondamental, et peut s’adapter à de nombreuses régions du monde. »